Lutter contre les freins financiers à l’accès aux soins
Propositions ReAGJIR
Document adopté en Conseil d’Administration à Avignon en Décembre 2017
Conclusion | Vers une Assurance maladie universelle, juste et solidaire
Synthèse des propositions | 10 objectifs, 40 solutions
Contexte
Le médecin généraliste est régulièrement confronté dans sa pratique à des patients présentant des difficultés d’accès aux soins, le plus souvent pour des raisons financières.
Cette question est un thème majeur de l’actualité de la profession avec par exemple la mise en œuvre du tiers payant généralisé. Or, cette modalité de paiement n’est qu’un aspect d’une problématique plus large : comment garantir un accès aux soins sans frein d’ordre économique ou financier ?
Objectif et méthode
Pour tenter de répondre à cette question, nous abordons plusieurs points cruciaux d’organisation de notre système de santé.
Sur la base d’un constat de l’existant nous proposons à chaque étape des pistes d’évolution.
ReAGJIR s’est saisi de cette problématique lors du Conseil d’Administration de Rennes en décembre 2016. Suite à un brainstorming avec les Administrateurs, plusieurs thématiques sont ressorties. Enrichi par les débats du Conseil d’Administration de Lille en septembre 2017, ce document fait ainsi ressortir dix points cruciaux pour améliorer notre système de soins. Le choix des quarante solutions s’est fait via une consultation en ligne associant une approche qualitative et une approche quantitative. Le document final a été présenté et discuté au Conseil d’Administration d’Avignon les 9 et 10 décembre 2017.
Analyse et propositions
Objectif n°1 | Améliorer la connaissance du système de santé
S’il ne s’agit pas à proprement parler d’un obstacle économique, la complexité de notre système de santé constitue un premier frein au recours aux soins. Connaître ses droits est en effet parfois un parcours du combattant. Il suffit pour s’en convaincre d’expérimenter un changement de régime, un déménagement ou la souscription d’une assurance complémentaire.
Solution n°1 | Améliorer la connaissance du système de santé par les professionnels de santé, via des actions de formation tout au long de la vie
La meilleure connaissance du système de santé est un enjeu fondamental pour les professionnels de santé. En effet, ce sont souvent eux qui conseillent en premier les usagers qui sont leurs patients, en particulier sur leurs droits.
Or, le niveau de connaissance actuel est encore largement insuffisant, et ce malgré les formations proposées notamment durant les études de médecine. Ces initiatives pourraient dans tous les cas être généralisées et renforcées durant le cursus de formation initiale. Les passages des délégué.e.s de l’Assurance maladie constituent une opportunité de faire régulièrement des piqûres de rappel aux installés.
Solution n°2 | Améliorer la connaissance du système de santé par les usagers, via une communication systématique, efficace et moderne
Le constat de méconnaissance du système s’applique également aux usagers.
Ainsi, des actions d’information systématiques pourraient être mises en œuvre en particulier à l’occasion de moments clés tels les rendez-vous d’ouverture de droits ou lors des périodes d’attente dans les locaux des caisses primaires, par exemple. Des diagnostics de droits pourraient également être proposés de manière périodique et systématique, tout comme des campagnes thématiques sur divers sujets (accident de travail, grossesse, pédiatrie, etc.). Enfin, une information systématique pourrait être envisagée lors de la journée défense et citoyenneté et intégrée au cursus scolaire.
Solution n°3 | Garantir un accès gratuit et facile aux interlocuteurs de l’Assurance maladie obligatoire et complémentaire
En attendant un système simplifié pour les usagers, les interlocuteurs de terrain qui accompagnent déjà les usagers dans la connaissance du système (assistantes sociales, travailleurs sociaux, etc.) doivent être soutenus dans leur démarche.
Cela passe également par un accès gratuit garanti, en ligne ou par téléphone, aux interlocuteurs de l’Assurance maladie obligatoire et complémentaire. La modernisation des modalités d’accès aux interlocuteurs devra être poursuivie. Le contact pourra notamment être dématérialisé, tout comme les informations essentielles qui pourraient être diffusées plus largement par voie électronique.
Solution n°4 | Développer l’accompagnement des assurés dans l’ouverture de leurs droits à une Assurance maladie
Toutefois, ce dispositif ne concernera pas la frange de la population qui ne bénéficie pas d’une assurance complémentaire. Or il constitue un facteur important de renoncement aux soins. À ce titre, le dispositif d’accompagnement des assurés, actuellement en cours de déploiement au sein des caisses primaires d’assurance maladie, contribue à réduire le nombre de patients dans ce cas. Cet accompagnement personnalisé pourra être épaulé par les dispositifs de généralisation de l’assurance complémentaire évoqués plus haut.
Objectif n°2 | Simplifier le système d’Assurance maladie
Solution n°5 | Créer un opérateur unique et public d’Assurance maladie obligatoire gestionnaire d’un régime unifié
Un système d’assurance maladie idéal du point de vue de l’usager reposerait sur un intervenant unique dont l’Etat serait le garant et sur un régime unifié, prenant en compte les pratiques vertueuses des différents régimes actuels. Cette réorganisation des organismes d’assurance maladie obligatoire et des différents régimes assurantiels ne pourra se faire qu’à long terme, mais elle doit rester l’objectif vers lequel tendre. Cette réforme aboutira à terme à une réelle simplification de nature à ce que chacun connaisse mieux ses droits assurantiels.
Solution n°6 | Créer une assurance maladie complémentaire unique et obligatoire
Une autre possibilité pourrait être d’étendre le principe du régime local d’Alsace-Moselle qui n’est autre qu’une couverture complémentaire obligatoire dont le niveau de remboursement se rapproche, sans l’atteindre, des 100 % des frais de santé. Ce remboursement est donc aujourd’hui insuffisant pour améliorer réellement l’accès aux soins. Son financement via les cotisations salariales est certes efficace, permettant depuis de nombreuses années à ce dispositif d’être à l’équilibre comptable, mais il exclut de fait les non salariés.
La création d’une assurance maladie complémentaire unique et obligatoire devra donc s’appuyer sur une assiette de cotisation plus large et ne pas se limiter aux seuls salariés.
Solution n°7 | Généraliser le tiers payant sous conditions
Pour ce qui est du renoncement aux soins pour raisons économiques, qui concerne essentiellement les soins dentaires et optiques, mais également le recours au médecin généraliste et autres spécialistes, la mise en œuvre du tiers payant généralisé permettra de réduire ce phénomène.
Mais cela ne pourra se faire qu’à deux conditions : que le tiers payant soit intégral (part obligatoire et complémentaire), ce qui dans les conditions techniques actuelles paraît impossible à court terme, et que le tiers payant soit pratiqué par tous les médecins, y compris en deuxième recours.
Objectif n°3 | Simplifier les dispositifs sociaux d’Assurance maladie
D’une Assurance maladie dédiée initialement aux travailleurs et à leur famille, la France s’est progressivement dotée d’un système de couverture maladie universelle, dont le critère de résidence sur le territoire est la porte d’entrée. Cette évolution s’est faite par étapes avec la création successive de la couverture maladie universelle de base (CMU) et complémentaire (CMUc), de l’aide médicale d’Etat (AME) et de l’aide au paiement d’une complémentaire santé (ACS).
Chaque dispositif a une logique de public qu’il s’agirait aujourd’hui de simplifier et en même temps d’élargir.
Solution n°8 | Achever l’universalité des droits en fusionnant la CMUc et l’ACS
Une première étape dans cette évolution s’est faite avec la création de la protection universelle maladie (PUMA), au 1er janvier 2016.
Plus simple que la CMU de base, la PUMA permet à tous les salariés et à toutes les personnes sans activité professionnelle ayant une résidence stable et régulière en France de bénéficier d’une prise en charge de leurs frais de santé. Au-delà des conditions d’ouverture, la PUMA permet une meilleure continuité des droits en cas de changement de situation et une plus grande autonomie de chacun puisque la notion d’ayant droit disparaît à partir de 16 ans.
Cette simplification n’est malgré tout pas suffisante. En effet, elle ne concerne que l’ouverture et la continuité des droits mais pas le traitement social de l’Assurance maladie.
Ainsi, la fusion de la CMUc et de l’ACS, qui prennent en compte le niveau de revenu des assurés, aurait le mérite de la simplicité. De plus, un lissage de l’aide accordée permettrait d’éviter l’effet de seuil qui existe actuellement pour les assurés passant de la CMUc à l’ACS.
Solution n°9 | Intégrer l’AME dans le dispositif fusionné de la CMUc et de l’ACS
Une étape supplémentaire vers la simplification serait enfin de fusionner ce nouveau dispositif avec l’AME.
Ce dispositif est ouvert aux étrangers sous conditions de ressources, et utilise des critères sociaux et un panier de soins très proches de la CMUc.
Cette réforme permettrait de lutter efficacement contre le non recours aux droits observé massivement dans le cas de la CMUc et de l’ACS.
Solution n°10 | Simplifier les services dématérialisés pour tous, en particulier pour les bénéficiaires des dispositifs sociaux
La connaissance des droits des assurés et l’accès aux services dématérialisés (arrêt de travail, accident de travail, protocole d’affection longue durée, etc.) constituent un élément déterminant dans la qualité de la prise en charge, en particulier pour les bénéficiaires des dispositifs sociaux, pour qui les démarches administratives sont souvent plus complexes.
L’accès à ces services via Espace pro, l’extranet de l’Assurance maladie, reste impossible pour certaines catégories : pour les usagers dépendant de certains régimes et pour les médecins remplaçants. De plus, ces services seront pleinement utilisés lorsqu’ils seront totalement intégrés aux logiciels médicaux, évitant ainsi des allers-retours entre logiciel et site internet.
Il en est de même pour l’application ADRi d’acquisition des droits réels intégrée qui doit permettre de connaître les droits réellement ouverts pour chaque patient. Or, le déploiement de cette fonctionnalité dans les logiciels n’est toujours pas généralisée. Une autre possibilité serait de permettre la mise à jour des cartes vitales via les logiciels médicaux. Le processus de facturation en l’absence de carte vitale devra par ailleurs être garanti pour les professionnels de santé.
Enfin, toutes les démarches pour les bénéficiaires de l’AME restent obligatoirement sous format papier, ces derniers n’ayant pas de carte vitale. Un effort particulier de digitalisation devra être opéré pour ce public.
Objectif n°4 | Valoriser le rôle du médecin généraliste dans la prise en charge globale de son patient via l’accompagnement social
Le médecin généraliste est au cœur de la prise en charge de son patient, par un suivi global dans lequel les dimensions sociales, familiales, culturelles et économiques sont centrales.
En conséquence, le médecin généraliste est souvent le mieux placé pour conseiller et accompagner son patient dans les méandres de notre système d’assurance maladie et de soins.
Solution n°11 | Lutter contre le refus de soins auprès des professionnels de santé
Le serment d’Hippocrate dit : « Je donnerai mes soins à l’indigent et à quiconque me les demandera. ».
Ainsi il ne doit pas être permis à des médecins de refuser d’administrer des soins aux bénéficiaires des dispositifs sociaux. La lutte contre ces pratiques frauduleuses doit être renforcée et pourrait passer par le respect d’un quota minimal selon le territoire considéré.
Solution n°12 | Valoriser l’accompagnement social dans la rémunération des médecins généralistes
Que ce soit dans l’ouverture de droits (protocole d’affection de longue durée par exemple) ou dans l’orientation au sein du parcours de soins en fonction des moyens du patient (médecins conventionnés en secteur 1 par exemple), ce rôle d’accompagnant doit être renforcé et davantage valorisé dans la pratique des médecins généralistes.
Cela passe par une rémunération différente de l’acte dans la prise en charge de ces questions.
Un premier pas va être franchi en permettant la valorisation, au sein d’un forfait, de la proportion de ses patients relevant de la CMU. Cette évolution est à encourager et à poursuivre en permettant, par exemple, la participation plus fréquente de médecins à des réunions de synthèse à visée médico-sociale, via une prise en charge spécifique. Cette réflexion pourrait, par ailleurs, s’élargir aux publics en situation de handicap, pour lesquels les problématiques sociales sont souvent déterminantes pour leur qualité de vie.
Solution n°13 | Inciter à mettre en place une première consultation “rencontre et contexte de vie” via l’adaptation des logiciels médicaux
Les premières consultations sont l’occasion de faire un point général sur la situation de santé mais aussi sur la situation économique et sociale. Ce travail est particulièrement important dans le cadre d’une prise en charge globale.
Or, peu de logiciels médicaux permettent le renseignement systématique d’un volet social dans chaque dossier. La généralisation de cette possibilité serait un premier pas.
Dans un second temps, l’intégration au sein des logiciels médicaux d’indicateurs systématiques tels que définis par les travaux du Collège de la Médecine générale[1], paraît indispensable.
Solution n°14 | Renforcer le travail en réseau avec les acteurs sociaux
Au-delà d’une sensibilisation des médecins à l’importance d’interroger leurs patients sur ces questions.
Cela passe par une formation tout au long de la vie plus approfondie aux problématiques sociales (accès aux droits, organisation des soins, …) mais aussi par une meilleure connaissance des acteurs spécialisés dans ce champ de compétence, tant administratifs (assistantes sociales, associations, interprètes) que médicaux (médecine humanitaire, permanence d’accès aux soins de santé).
A ce titre, une meilleure identification des différents acteurs sociaux serait bénéfique, tout comme un travail en réseau plus approfondi.
Une première étape serait la communication sur les réseaux existants. Pour ce faire, il pourrait être intéressant que les assistantes sociales de secteur deviennent l’interlocuteur privilégié du médecin traitant. Elles pourraient être encouragées à développer, avec chaque médecin, un rapport privilégié sur leur territoire et des outils d’orientation disponibles pour tous les médecins, y compris les remplaçants.
Cette vision globale est un élément indispensable pour permettre ensuite une démarche de prévention, de promotion de la santé voire d’éducation thérapeutique à la fois adaptée et pertinente.
Solution n°15 | Donner la possibilité à tout médecin généraliste de déclencher une CMU d’urgence via un service dématérialisé
Dans certaines situations urgentes de précarité, les médecins généralistes sont parfois confrontés à une absence de droits ouverts.
Dans ces situations, les médecins n’ont d’autre choix que de réorienter le patient vers une permanence d’accès aux soins de santé (PASS) afin d’ouvrir rapidement des droits. Il pourrait être intéressant que cette possibilité soit donnée à tous les médecins généralistes, qui pourraient dès lors être à l’origine d’une demande par voie dématérialisée, qui serait ensuite traitée prioritairement par une assistante sociale.
Cela éviterait le recours à un service hospitalier et permettrait de maintenir le lien avec le médecin traitant.
Solution n°16 | Accompagner financièrement les médecins qui organisent leur cabinet pour améliorer l’accueil et l’accompagnement social des patients
Avec la création du forfait structure[2], la convention médicale permet une première valorisation de l’accueil et de l’accompagnement social des patients, via une rémunération basée sur l’existence, au sein des cabinets, de personnel ayant pour fonction la coordination et/ou sur le recours à des structures d’appui.
Ce premier pas mérite d’être amplifié, afin d’encourager réellement les médecins à entrer dans une logique d’accompagnement social via des contacts humains plus fréquents ou plus qualifiés (accueil au sein du cabinet, accompagnement dans les démarches ou les prises de rendez-vous, coordination des parcours, prise en charge des situations complexes, mais aussi service d’interprétariat par exemple).
Cette valorisation plus importante permettra la compensation du coût de telles prestations.
Objectif n°5 | Renforcer le rôle du médecin généraliste dans le parcours de soins
Notre système de santé est actuellement organisé autour de la notion de parcours de soins dont le médecin généraliste et médecin traitant est la porte d’entrée ainsi que le coordinateur de la prise en charge.
Ce rôle se fonde à la fois sur une ambition de rationalisation économique (ne pas multiplier les dépenses de santé) et de rationalisation médicale (éviter les errances de prise en charge).
Solution n°17 | Faire du médecin généraliste le pivot réel du parcours de soins
Si ces principes vont normalement de pair, il faut se rendre à l’évidence que seul le volet économique est pleinement opérationnel : ainsi, le non respect du parcours de soins est systématiquement sanctionné dans le remboursement différencié des actes concernés. Le rôle de pivot dans la prise en charge médicale est, quant à lui, plus théorique : le partage d’informations entre spécialistes demeure parfois inexistant ou, lorsqu’il existe, n’est parfois pas suffisamment efficace pour avoir un impact positif sur la prise en charge du patient.
Aussi, l’accent doit être mis sur le rôle de coordinateur du médecin généraliste, en investissant massivement sur les outils de partage d’informations (comme le dossier médical partagé et les messageries de santé) et en opérant une révolution culturelle qui permettra de décloisonner les pratiques des professionnels issus du monde libéral et du monde hospitalier ainsi qu’entre médecins de spécialités différentes.
Un travail particulier pourrait à ce titre être entrepris pour créer une procédure type d’information du médecin traitant lors d’une hospitalisation.
Solution n°18 | Améliorer la communication entre tous les professionnels de santé en lien avec le médecin traitant
De la même manière qu’entre médecins, l’information entre professionnels de santé a souvent du mal à circuler. Or, le partage des informations pertinentes est un enjeu essentiel dans la prise en charge efficace des patients.
Une réflexion particulière associant l’ensemble des professionnels de santé devra être rapidement menée afin d’aboutir à la création d’un outil simple et efficace répondant à cet objectif.
Solution n°19 | Expliquer le parcours de soins et promouvoir l’image du médecin généraliste comme spécialiste qui oriente vers d’autres spécialistes
Renforcer le rôle du médecin généraliste dans le parcours de soins ne doit pas être synonyme de complexification. Aussi, ce rôle de pivot ne peut se limiter à un rôle de secrétariat comme cela se voit encore trop souvent : courrier d’adressage vers un autre spécialiste demandé la veille du rendez-vous prévu ou bon de transport à rédiger pour une consultation hospitalière de suivi alors même que le médecin traitant n’est pas au courant ou n’a rien demandé.
C’est pourquoi, une campagne d’information devra être menée à l’attention du grand public et des autres médecins spécialistes afin de positionner clairement le médecin généraliste dans son rôle de pivot, en mettant notamment en lumière sa plus-value dans la prise en charge.
Solution n°20 | Supprimer les pénalités financières pour non respect du parcours de soins
Les pénalités de non respect du parcours de soins restent peu dissuasives pour qui a les moyens et pénalisent les patients qui n’ont pas les moyens ou pas les stratégies d’évitement suffisantes, sans pour autant répondre efficacement au besoin accru de coordination.
Objectif n°6 | Supprimer les dépassements d’honoraires
Le conventionnement médical en deux secteurs à tarification distincte est aujourd’hui le symbole d’une médecine à deux vitesses : celle, d’un côté, pour les patients aisés qui en échange de prestations “de qualité” peuvent se permettre de régler des dépassements d’honoraires conséquents et/ou une assurance complémentaire onéreuse qui en permet la couverture, et, de l’autre côté, pour les patients plus pauvres qui n’ont d’autre choix que de se soigner dans les hôpitaux publics, en acceptant des conditions de prise en charge qui sont souvent dégradées (délais de rendez-vous, multiplicité des acteurs, …).
Sans entrer dans la caricature, force est de constater que le fossé se creuse entre spécialistes de secteurs différents.
Solution n°21 | Supprimer les différents secteurs et interdire les dépassements d’honoraires
C’est pourquoi, il paraît indispensable de supprimer cette distinction tarifaire entre secteur 1 et secteur 2 en interdisant dans le même temps la possibilité de dépassement d’honoraires.
Cet encadrement tarifaire plus important devra nécessairement s’accompagner d’une réévaluation de certains actes médicaux, d’une meilleure prise en compte des facteurs économiques contribuant aux dépassements d’honoraires (coût des loyers notamment) et d’une réflexion approfondie sur la diversification des modes de rémunération, en intégrant notamment les avantages sociaux liés au secteur 1.
La prochaine augmentation de la contribution sociale généralisée devrait être mise à profit pour s’attaquer à ce sujet.
Solution n°22 | Faire évoluer les pratiques tarifaires et l’attractivité des carrières à l’hôpital
Le secteur hospitalier est loin d’être exemplaire dans les pratiques tarifaires.
Au-delà des dépassements pratiqués par certains spécialistes, il est de plus en plus fréquent d’observer des dépassements en cascade. Ainsi, lors d’une coloscopie par exemple, bien que le gastro-entérologue soit en secteur 1, les patients n’ont d’autre choix que de renoncer à leur examen lorsqu’ils ne peuvent pas se payer les dépassements pratiqués par les anesthésistes de la clinique dans laquelle est pratiquée le geste. Cette situation de choix contraint ne peut perdurer.
De plus, la question de l’attractivité des carrières hospitalières reste posée : sans amélioration des conditions de travail, la fuite progressive vers le libéral risque de se poursuivre. Or, il serait plus intéressant pour tout le monde d’organiser l’activité mixte permettant ainsi davantage de passerelles ville-hôpital.
Solution n°23 | Encadrer la pratique hors convention
La question du secteur 3 ou du non conventionnement demeure.
Dans le cadre de la disparition des secteurs, la possibilité de ne pas être conventionné devra être strictement encadrée pour éviter de reproduire la même disparité de prise en charge.
Solution n°24 | Lutter contre les pratiques frauduleuses
Les dépassements d’honoraires sont parfois l’occasion de pratiques frauduleuses qu’il s’agit de combattre vigoureusement.
Ainsi, les paiements en liquide tout comme le chantage au rendez-vous plus rapide en acceptant de changer de secteur sont deux dérives encore fréquemment rapportées par les patients et qu’il s’agit de faire disparaître.
Objectif n°7 | Définir un panier de soins à rembourser
L’accès aux soins dépend en grande partie de la définition des soins remboursés ou non.
Ce n’est pas un hasard si les soins d’optique et de dentaire sont ceux où l’on observe le plus de renoncements, car mal remboursés.
Solution n°25 | Définir un panier de soins fondamentaux intégrant la prévention et intégralement pris en charge
Une réflexion doit être menée sur la définition de soins fondamentaux pour lesquels il n’existerait aucun reste à charge pour l’assuré. Cette définition devra être réévaluée régulièrement avec une orientation marquée vers les soins de prévention (soins dentaires, optique, psychologue, diététicien).
Solution n°26 | Dérembourser les soins non fondamentaux
En parallèle, la suppression de la prise en charge des traitements jugés inutiles ou au service rendu insuffisant devra être discutée.
Solution n°27 | Réfléchir à un remboursement de certains actes sur prescription
Certains actes, actuellement non remboursés, pourraient le devenir sur prescription.
Il s’agirait par exemple de prendre en charge des actes de psychothérapie ou de diététique. Une expérimentation de ce type est d’ores et déjà en cours pour la prise en charge pluridisciplinaire de l’enfant obèse. Ce type d’expérimentation mériterait d’être développée avant leur généralisation lorsque cela est pertinent.
Solution n°28 | Supprimer le ticket modérateur, la participation forfaitaire et les franchises médicales
Cela suppose, dans un deuxième temps, de remettre en cause le principe de ticket modérateur (dépenses à la charge de l’assuré après remboursement par l’Assurance maladie), celui de participation forfaitaire de 1 € par consultation ainsi que celui des franchises médicales pour les médicaments, les actes paramédicaux et les transports sanitaires.
Solution n°29 | Rembourser intégralement les soins primaires
Cette réforme devrait aboutir à une prise en charge à 100 % des soins courants parmi lesquels le recours au médecin généraliste.
Se pose néanmoins la question de recours aux soins qui ne seront pas concernés par ce dispositif : il ne faudrait pas que cette réforme ait pour effet de simplement décaler les difficultés ou de complexifier les relations patients-médecins traitants.
Solution n°30 | Anticiper les effets de seuils entre taux de remboursement
Que ce soit dans le système actuel ou dans le cadre de nouveaux périmètres de remboursement, il serait judicieux de veiller à éviter les effets de seuils entre taux de remboursement différents. Ces effets de seuils se voient actuellement pour les sortants de la CMU ou encore pour les sortants de l’ACS, pour qui le saut est encore plus important.
Pour ce faire, un continuum de remboursement pourrait s’envisager afin d’éviter notamment tout retard ou renoncement de soins spécialisés liés à une différence trop importante de prise en charge.
Objectif n°8 | Lutter contre le non recours et le renoncement aux soins
Le non recours aux droits et donc aux soins est un phénomène très fréquent en grande partie lié à la méconnaissance de ses droits ou à la complexité réelle ou supposée des démarches à entreprendre pour y accéder.
Solution n°31 | Développer les soins aux non assurés ou en cas de rupture de droits
La dispensation de soins aux patients sans droits est aujourd’hui l’apanage des PASS et des consultations organisées par les organisations non gouvernementales.
Le développement de PASS extra-hospitalières et de PASS libérales permettrait la multiplication des possibilités et la qualité globale de prise en charge d’un public souvent en grande précarité.
Solution n°32 | Prendre en charge et développer les solutions de déplacement en place dans les territoires sous-denses
Afin d’améliorer la prise en charge des citoyens vivant en zone sous-dotée en médecin, l’Assurance maladie pourrait contribuer à la prise en charge des solutions de transport mise en place sur ces territoires (transports collectifs, livraison de médicaments, etc.).
Cette intervention permettrait de favoriser les regroupements de médecins et de professionnels de santé tout en conservant une haute qualité de service rendu à l’usager.
Solution n°33 | Prendre en charge et développer les solutions de télémédecine dans les territoires sous-denses
Plusieurs dispositifs de télémédecine sont de nature à répondre, au moins partiellement, au déficit de médecins généralistes dans certains territoires. Ainsi, la pratique de la télé-consultation dans les zones les plus éloignées pourrait contribuer à répondre au défi des déserts médicaux.
Or, de tels actes ne sont pas encore remboursés, tout comme le coût de l’équipement qui reste prohibitif.
Solution n°34 | Harmoniser les règles de permanence de soins sur tout le territoire
Le renoncement et le non recours aux soins est également déterminé par l’accès à un médecin sur les horaires de permanence de soins.
Cela suppose une réorganisation de la permanence des soins sur tout le territoire, incluant une redéfinition de la rémunération (avec une revalorisation du forfait pour limiter la course à l’acte), une réflexion sur la réduction du reste à charge pour le patient et une clarification du parcours du patient (avec un passage obligatoire par une régulation médicale).
Objectif n°9 | Simplifier la facturation et le remboursement des soins
Du point de vue du médecin, le processus de facturation des actes pratiqués relève souvent du casse-tête, devant la multiplicité des régimes et des payeurs.
Cela est naturellement encore plus problématique dans le cadre du tiers payant.
Solution n°35 | Mettre en œuvre un interlocuteur unique d’Assurance maladie pour les professionnels de santé et les usagers
C’est pourquoi, la simplification du système évoquée plus haut permettra d’aboutir à un payeur unique selon des modalités simplifiées.
Dans l’intervalle, seule la proposition d’un interlocuteur unique (pour l’envoi des factures et pour la réception des règlements) sera de nature à permettre la pratique d’un tiers payant intégral.
Du point de vue du patient, l’intervention de plusieurs acteurs dans le remboursement des soins est, là-encore, facteur de grande confusion. À cela s’ajoutent les dispositifs des participations forfaitaires et des franchises qui achèvent de complexifier les décomptes de remboursement, sans pour autant avoir l’effet pédagogique recherché initialement.
Solution n°36 | Rendre les dépenses d’Assurance maladie transparentes pour les patients mais informatives pour l’usager
Le recours à un intervenant unique, répondant au standard de qualité que l’on peut raisonnablement en attendre, paraît indispensable pour plus de simplicité et de clarté. Se pose néanmoins la question du coût des soins, que souvent ni le médecin ni l’assuré ne connaissent.
Pour répondre à cette question, la remise d’une facture aux patients, au moment des soins, pourrait avoir des vertus pédagogiques, même si ces soins lui sont par ailleurs entièrement remboursés. Il s’agirait d’éviter de simplement “passer la carte vitale” comme cela peut se voir.
Objectif n°10 | Réduire les inégalités sociales de santé
Les inégalités sociales de santé (ISS) sont définies comme l’écart d’état de santé entre strates sociales. Elles concernent autant les facteurs de risques que les résultats des soins ou l’espérance de vie.
Si la nature et le rôle exact des déterminants de santé ne semblent pas toujours très clairs, il est prouvé que les soins de premier recours constituent un outil important de lutte contre ces inégalités.
Solution n°37 | Développer la formation des professionnels de santé à la question des ISS
La question des ISS reste aujourd’hui encore un sujet peu ou pas abordé durant la formation initiale des professionnels de santé.
Une première évolution serait d’en faire un sujet de formation obligatoire durant toutes les formations. La prise en compte de ce sujet dans le cadre de la formation continue serait également nécessaire.
Solution n°38 | Créer un processus d’alerte précarité sur le modèle de l’enfance en danger
Sur le modèle de la prise en charge de l’enfance en danger, un système d’alerte grande précarité pourrait être mise en place afin de lutter efficacement contre les grandes inégalités sociales de santé.
Cela permettrait une prise en charge pluridisciplinaire de ces situations dès la phase de signalement.
Solution n°39 | Développer la prévention en médecine générale
Cela passe par un rôle accru dans l’accompagnement social, comme nous l’avons vu plus haut, mais aussi dans une approche de prévention, de promotion de la santé voire d’éducation thérapeutique beaucoup plus active.
Ce virage de la prévention en médecine générale n’est aujourd’hui qu’une hypothèse : tant les attentes des patients que le mode de rémunération des médecins n’incitent pas franchement à sortir d’un système curatif où la prescription médicamenteuse est reine.
Pourtant un autre mode d’exercice serait possible et même souhaité par de nombreux jeunes généralistes. L’objectif serait de pouvoir mener des actions de prévention au sens large, tant individuelles que collectives, adaptées aux besoins et aux représentations de leurs patients.
Les consultations dédiées à la prévention telles qu’elles existent dans certains régimes (RSI ou MSA) pourraient être généralisées sous la forme d’une consultation annuelle systématique chez le médecin traitant. Cette consultation pourrait se faire sur le temps de travail du patient.
Solution n°40 | Réformer la pratique de la prévention
Néanmoins ce changement de paradigme nécessite de revoir profondément la rémunération des médecins en en diversifiant les modes.
Il sera également indispensable de rapprocher les acteurs de terrain de la prévention et les médecins généralistes pour favoriser le travail en réseau.
Enfin, il faudra éviter l’inflation administrative et/ou réglementaire comme cela s’est vu tout récemment à l’occasion de l’entrée dans la loi du concept de sport-santé, de laquelle a découlé un décret complexe à mettre en œuvre pour les médecins et surtout qui conduit à une absence de bénéfice réel pour nos patients.
La question de la rémunération des médecins impliqués dans des actions collectives de prévention devra être traitée, tout comme le rôle dévolu à d’éventuels tiers (infirmière clinicienne, assistant de soins, partenaires).
La notion de parcours de soins pour une même pathologie pourrait être pertinente dans ce cadre.
Conclusion | Vers une Assurance maladie universelle, juste et solidaire
La question du financement du système de santé n’a volontairement pas été abordée dans ce document. Il nous apparaît en effet que ce débat doit largement dépasser le monde médical car il concerne la société dans son ensemble. De plus, les comparaisons internationales démontrent que l’efficacité d’un système ne dépend pas uniquement du niveau de dépenses, mais d’abord et avant tout de son organisation.
Ainsi, les trois principes de base, posés dans l’immédiate après-guerre, méritent d’être repris et sous-tendent les différentes évolutions que nous proposons :
L’universalité des droits, quelle que soit sa condition économique ou sociale
Le juste accès aux soins, selon ses besoins et non pas selon ses moyens
La solidarité au sein du système entre les plus riches et les plus pauvres.
Il nous appartient de les faire vivre au quotidien et de se mobiliser pour la construction d’un système de santé à l’image des jeunes généralistes : innovant, collaboratif, humain et solidaire.
1 – Pourquoi et comment enregistrer la situation sociale d’un patient adulte en médecine générale – mars 2014 – Collège de la médecine générale
2 – Arrêté du 20 octobre 2016 portant approbation de la convention nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l’assurance maladie signée le 25 août 2016 – article 20.2 – indicateur 4
3 – Garantir l’accès (financier) aux soins, étendu, Brainstorming Administrateurs ReAGJIR, Décembre 2016.
Synthèse des propositions | 10 objectifs, 40 solutions
Objectif n°1 | Améliorer la connaissance du système de santé
Développer l’accompagnement des assurés dans l’ouverture de leurs droits à une Assurance maladie
Objectif n°2 | Simplifier le système d’Assurance maladie
Créer un opérateur unique et public d’Assurance maladie obligatoire gestionnaire d’un régime unifié
Créer une assurance maladie complémentaire unique et obligatoire
Généraliser le tiers payant sous conditions
Objectif n°3 | Simplifier les dispositifs sociaux d’Assurance maladie
Achever l’universalité des droits en fusionnant la CMUc et l’ACS
Intégrer l’AME dans le dispositif fusionné de la CMUc et de l’ACS
Objectif n°4 | Valoriser le rôle du médecin généraliste dans la prise en charge globale de son patient via l’accompagnement social
Lutter contre le refus de soins auprès des professionnels de santé
Valoriser l’accompagnement social dans la rémunération des médecins généralistes
Renforcer le travail en réseau avec les acteurs sociaux
Objectif n°5 | Renforcer le rôle du médecin généraliste dans le parcours de soins
Faire du médecin généraliste le pivot réel du parcours de soins
Améliorer la communication entre tous les professionnels de santé en lien avec le médecin traitant
Supprimer les pénalités financières pour non respect du parcours de soins
Objectif n°6 | Supprimer les dépassements d’honoraires
Supprimer les différents secteurs et interdire les dépassements d’honoraires
Faire évoluer les pratiques tarifaires et l’attractivité des carrières à l’hôpital
Encadrer la pratique hors convention
Lutter contre les pratiques frauduleuses
Objectif n°7 | Définir un panier de soins à rembourser
Définir un panier de soins fondamentaux intégrant la prévention et intégralement pris en charge
Dérembourser les soins non fondamentaux
Réfléchir à un remboursement de certains actes sur prescription
Supprimer le ticket modérateur, la participation forfaitaire et les franchises médicales
Rembourser intégralement les soins primaires
Anticiper les effets de seuils entre taux de remboursement
Objectif n°8 | Lutter contre le non recours et le renoncement aux soins
Développer les soins aux non assurés ou en cas de rupture de droits
Prendre en charge et développer les solutions de télémédecine dans les territoires sous-denses
Harmoniser les règles de permanence de soins sur tout le territoire
Objectif n°9 | Simplifier la facturation et le remboursement des soins
Objectif n°10 | Réduire les inégalités sociales de santé
Développer la formation des professionnels de santé à la question des ISS
Créer un processus d’alerte précarité sur le modèle de l’enfance en danger
Développer la prévention en médecine générale
Réformer
la pratique de la prévention
[1] Pourquoi et comment enregistrer la situation sociale d’un patient adulte en médecine générale – mars 2014 – Collège de la médecine générale
[2] Arrêté du 20 octobre 2016 portant approbation de la convention nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l’assurance maladie signée le 25 août 2016 – article 20.2 – indicateur 4